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Retrofit : le grand entretien

10 min de lectureTransition énergétique
Cette semaine, poursuivons nos rencontres avec des leaders de la mobilité. Ils nous partagent leur vision et leur engagement pour la transition vers des mobilités décarbonées.
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Après le chercheur Aurélien Bigo, les entrepreneurs Jean François Dhinaux et Gilles Henry, nous avons la chance de recevoir cette semaine Jean-Jacques SERRAF avec qui nous allons parler retrofit !

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Jean-Jacques SERRAF, Directeur général de QINOMIC Mobilities. QINOMIC Mobilities, c’est une filiale de QINOMIC dédiée à la mobilité, à la distribution et la commercialisation des solutions QINOMIC pour la décarbonation des parcs. Cette filiale œuvre notamment sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui : la décarbonation des parcs de VUL (véhicules utilitaires légers) par le retrofit. Par ailleurs, je suis également responsable de la filière retrofit chez MOBILIANS en tant que co-président du métier retrofit pour MOBILIANS. Rappelons que MOBILIANS est une organisation patronale des filières de l’automobile, qui s’est élargie également sur tous les sujets de mobilité. Le retrofit est le 20ème métier de cette organisation.

Qu’est-ce qu’on appelle le retrofit ?

C’est une solution technique qui permet de transformer un véhicule thermique existant en un véhicule 100% batterie électrique ou à pile à combustible (hydrogène). C’est la conversion d’un véhicule thermique qui émet du CO2 à un véhicule « zéro émission », offrant par la même occasion le moyen de prolonger la durée de vie du véhicule.

En France, le rétrofit est encadré par l’arrêté du 13 mars 2020 relatif aux conditions de transformation des véhicules à motorisation thermique en motorisation électrique ou hydrogène. Ce texte a été modifié en octobre 2023 pour apporter plus de flexibilité au cadre règlementaire. Il ouvre le droit à l’homologation des véhicules transformés, ce qui permet au propriétaire d’obtenir une nouvelle carte grise zéro émission. Ainsi, grâce à cette homologation, le véhicule « retrofité » bénéficie de tous les avantages d’un véhicule zéro émission (fiscalité, conditions sur la route…). Avec le retrofit, on recherche une accélération de la décarbonation et de l’économie circulaire.

Comment se structure la filière du retrofit en France ?

La filière est composée d’une trentaine de membres. C’est une filière très large, composée de « retrofiters », de fabricants de batteries, des fournisseurs de composants, d’installateurs, de bureaux d’étude… Il y a un véritable écosystème autour du retrofit. Le retrofit, ce sont aussi des emplois en France : Le retrofit est made in France, même si certains composants peuvent venir de l’étranger (mais c’est aussi le cas pour un véhicule électrique). La R&D, le désassemblage, l’assemble ou encore l’ingénierie sont made in France.

Quels sont les différents segments sur lesquels on réalise du rétrofit ?

Des acteurs sont présents sur l’ensemble des segments. Il y a par exemple des acteurs du rétrofit pour les deux roues ou les trois roues. Nous avons aussi des acteurs sur les véhicules particuliers ou sur les véhicules utilitaires légers (VUL). Certains se concentrent sur des niches comme les voitures de collection, alors que d’autres adressent des segments avec davantage de volumes. Certains retrofiters sont spécialisés dans les véhicules lourds comme les camions, les autocars ou les bus. Enfin, il y a aussi des acteurs dans ce qu’on appelle le « offroad ». Ce sont, par exemple, les engins de chantier comme les pelleteuses, mais aussi les navettes fluviales. Ces dernières ont d’ailleurs besoin de « verdir » leur mode de propulsion car elles évoluent dans des milieux protégés, avec notamment des enjeux importants pour la biodiversité.

Quelle est la taille du marché du rétrofit ?

La filière n’en est qu’à ses débuts. Aujourd’hui, nous avons une quinzaine d’homologations effectuées. L’homologation est déposée par une société (qui doit être un constructeur) et vaut pour une « famille de véhicules ». Nous en avons une dizaine en cours auxquels s’ajoutent 38 projets de R&D. La filière est très dynamique et en pleine expansion. Il faut savoir qu’un processus d’homologation est un parcours long et très technique. Chaque solution de rétrofit demande des investissements conséquents.
Le volume est encore limité en 2023-2024 mais le potentiel est considérable : dans les projections que nous réalisons avec nos adhérents, nous estimons que les 100 000 unités seront dépassées d’ici 2028. Ce marché est soutenu par l’Etat avec des mesures de primes au rétrofit adressées aux clients qui choisissent ce type de solutions. L’Etat soutient aussi les acteurs de la filière par l’intermédiaire du programme France2030, et en particulier avec le programme CORAM (Comité d’Orientation pour la Recherche Automobile et Mobilité) dédié aux mobilités.

Quels sont les segments qui vous paraissent les plus prometteurs ?

Nous pensons que l’un des segments les plus prometteur est celui des véhicules utilitaires. Les véhicules utilitaires offrent des valeurs résiduelles plus importantes. Par ailleurs, ils disposent souvent d’équipements spéciaux à l’intérieur ou à l’extérieur du véhicule. Avec le retrofit, on conserve ces équipements, ce qui permet d’amortir encore davantage l’investissement du retrofit. Enfin, ce sont des véhicules qui circulent beaucoup dans les villes. Ils sont très émetteurs de particules fines et sont contraints par la règlementation pour circuler dans les métropoles. On pense par exemple aux ZFE, ou à la loi LOM pour des véhicules qui font partie de flottes. Enfin, c’est un segment avec un volume significatif. On compte plus de 6 millions d’utilitaires en France, un peu moins de 30 millions en Europe. Ce volume significatif de véhicules utilitaires doit être décarboné en priorité. A ce titre, le retrofit peut jouer un rôle considérable pour accélérer la décarbonation de ce segment. Avec le véhicule utilitaire, la démarche peut s’industrialiser grâce aux volumes.

Quels sont les bénéfices écologiques du rétrofit ?

Au niveau des particules fines : avec le retrofit, on passe d’un véhicule thermique qui met des particules fines à un véhicule (électrique ou hydrogène) qui n’en n’émet pas. La réduction est de 100%. La nouvelle carte grise émise permet de bénéficier de l’ensemble des avantages d’un véhicule zéro émission. Au niveau des gaz à effet de serre, la baisse est importante. Cette baisse a été chiffrée par l’ADEME dans une étude de 2021. Pour un véhicule utilitaire léger, en choisissant le retrofit au lieu d’acheter un véhicule électrique neuf, la baisse des émissions de gaz à effet de serre s’élève à 56%. Grâce au rétrofit, on ne produit pas à nouveau toute la carrosserie. On ne change que le mode de propulsion. La réduction des émissions est donc importante. D’ailleurs, certains grands groupes souhaitent faire du retrofit dans le cadre de leur politique RSE car il va contribuer à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre plus rapidement qu’avec l’achat de véhicules électriques neufs.

Maintenant que le cadre général est clairement posé, intéressons-nous à un « use cas »e concret. Que proposez-vous pour une entreprise qui disposerait d’une flotte de véhicules utilitaires thermiques ?

Très concrètement, ce qu’on préconise c’est de réfléchir globalement à une stratégie de décarbonation. L’approche traditionnelle est de remplacer certains véhicules par des véhicules électriques neufs. Cette méthode est couteuse. Ce sont des investissements significatifs, notamment car il faut remettre en place ou racheter les équipements spéciaux. Notons aussi qu’elle est souvent longue à déployer car il faut attendre parfois plus de 12 mois pour obtenir un véhicule neuf. Ce qu’on propose à la société, c’est de regarder les conditions des véhicules et les cas d’usage pour proposer un retrofit sur un certain nombre de véhicules. Les entreprises de leasing peuvent donc jouer un rôle fondamental. A la fin d’un premier cycle, plutôt que de céder le véhicule à basprix en tant que véhicule d’occasion, l’idée est de réaliser un rétrofit et d’offrir une deuxième période de leasing décarboné grâce au retrofit. Au lieu de ne faire qu’un cycle de leasing, le leaser peut en réaliser deux, dont un décarboné puisque le véhicule aura été rétrofité entre les deux cycles.

Le rétrofit n’est donc pas réservé uniquement aux véhicules « anciens » ?

On peut retrofiter avec l’accord du constructeur au bout de 3 ans et sans son accord dans la cinquième année du véhicule. Rendons-nous compte. En 2024, 80% des véhicules utilitaires légers mis en service sont des véhicules thermiques. Ils vont être mis en leasing et sortiront de leur premier cycle en 2028/2029. Qu’allons-nous faire de ces véhicules ? En 2028/2029, la pression sera encore plus forte sur les enjeux de décarbonation. La plupart des entreprises du CAC 40 ont pour objectif d’avoir une flotte 100% électrique en 2030. Ces véhicules seront en bon état général, ils n’auront que 4 ou 5 d’âge. Plutôt que de les vendre à bas prix, rétrofitons ces véhicules ! Faisons gagner de la valeur sur le territoire français tout en réduisant les émissions de particules et les émissions de gaz à effet de serre.

Poursuivons notre use case : quel est le coût du rétrofit et dans quelle mesure l’Etat apporte son soutien à cette démarche ?

L’Etat subventionne le retrofit avec des aides qui vont de 6 000 à 8 000 euros pour les véhicules utilitaires légers en fonction de la masse du véhicule. C’est une aide conséquente. Cette aide pourra se cumuler avec une aide régionale. En moyenne ces aides régionales sont d’environ 3 000 euros. L’Ile de France a annoncé qu’elle irait au-delà de ce montant dès l’année prochaine. Le prix, sans les aides, est entre 25 000 et 35 000 euros pour un VUL. Il dépend notamment du type de batteries utilisées. En intégrant les différentes aides, ce montant peut descendre dans une fourchette comprise entre 15 000 et 29 000 euros.
Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec les coûts d’achat d’un véhicule neuf. Il faut compter entre 45 000 et 55 000 euros, auxquels s’ajoutent les équipements supplémentaires. Le rétrofit est donc entre 1,5 fois et 2 fois moins cher que l’investissement dans un véhicule neuf. Au-delà de la différence de coût, l’entreprise va doublement accélérer grâce au rétrofit :

Quels sont les caractéristiques des véhicules obtenus après rétrofit ?

Chez QINOMIC, on utilise des composants constructeurs. Qu’il s’agisse du moteur électrique, des batteries ou de l’ensemble de la chaîne de traction, tous les composants viennent de véhicules électriques constructeurs. De ce fait, la performance obtenue est assez proche d’un véhicule électrique neuf. Par exemple, dans l’offre QINOMIC actuelle, on propose des véhicules utilitaires qui ont plus de 200 kms d’autonomie et qui peuvent bénéficier de la charge rapide. Les cas d’usage sont souvent autour d’une centaine de kilomètres par jour donc l’autonomie de 200 kms doit permettre de faire une tournée dans la journée. Pour les cas d’usage plus spécifiques avec des journées de 400 kilomètres, il faut se tourner vers d’autres approches ou d’autres types de batteries.

Quelle est votre vision sur les évolutions technologiques à venir ?

Le rétrofit est bien positionné pour adopter les nouvelles technologies car il est plus agile qu’un grand constructeur. Un grand constructeur met souvent plusieurs années pour adopter une nouvelle technologie dans ses programmes. Le rétrofit va permettre de mettre de nouvelles technologies sur le marché de façon plus agile. Avec le rétrofit, certains utilisent déjà des chimies de batteries intéressantes en termes de rapport coût/bénéfice avec le LFP (lithium-fer-phosphate) qui permet d’abaisser les coûts tout en ayant de très bonnes prestations en matière de durabilité. D’autre part, on voit arriver des orientations dans le futur pour l’hydrogène. La filière en est à ses débuts mais les coûts vont baisser alors que la fiabilisation et l’approvisionnement vont augmenter. C’est un autre type de refrofit qu’on sera amené à considérer dans le futur. Enfin de nouvelles technologies de batteries arriveront dans le futur. C’est le cas par exemple des batteries solides qui seront des opportunités pour le retrofit.

Avec ces évolutions technologiques rapides, peut-on imaginer du rétrofit de véhicules électriques dans l’avenir ?

Nous avons déjà des demandes à ce sujet. Par exemple, les premières générations de Zoé offrent des autonomies très réduites. Certaines ne sont plus utilisables dans les entreprises et on nous demande de réadapter la chaîne de traction pour bénéficier de meilleures performances. La technologie évolue très vite et il y aura des besoins de flexibilité. Il faudra pouvoir adapter la chaine de traction sur un véhicule qui aura 10 ou 15 ans d’âge et dont les technologies de batterie et de chargeur seront un peu anciennes par rapport au besoin du marché. C’est donc un élément qu’on est en train d’étudier pour apporter des solutions dans ce segment des véhicules électriques. On le voit déjà en Chine avec des parcs de véhicules électriques obsolètes pour lesquels il n’y a pas de solution aujourd’hui, ce qui pose un problème écologique. Il faut pouvoir leur offrir une seconde vie.

Pour conclure, quels sont les défis auquel fait face le rétrofit ?

Le retrofit est un changement de mentalités. C’est un changement d’habitudes pour des clients qui ont l’habitude de commander un véhicule neuf. C’est un changement pour les utilisateurs qui souhaitent avoir un véhicule neuf. C’est un changement pour les sociétés de leasing ou pour les gestionnaires de flottes. On a la conviction que c’est un changement que l’on doit faire ensemble pour l’avenir. Il y a une maturité technologique qui existe. Il y a aussi une maturité de marché car il y a un besoin d’accélérer la décarbonation et les évolutions de la loi LOM nous le rappellent. A cela s’ajoute une nécessité évidente de baisser les émissions de gaz à effet de serre face à l’urgence climatique. Il y a donc énormément de conditions qui sont réunies afin de pouvoir accélérer le rétrofit. Cela demandera un effort de tous mais nous sommes confiants et cela a déjà commencé.

Publié le 14 juin 2024
14 juin 2024
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